Les Aventures de Tintin et Les Aventures d’Astérix figurent sur la liste des 20 ouvrages les plus traduits sur la planète. Les aventures amusantes de ces personnages à travers le monde justifient sans aucun doute le succès de leur bande dessinée. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de s’interroger : Les traducteurs jouent-ils également un rôle dans le grand accueil réservé à ces bandes dessinées dans le monde ?
La bande dessinée a plus d’un siècle d’âge, elle se trouve presque contemporaine du cinéma. Malgré cela, beaucoup de gens rejettent encore l’idée que la bande dessinée soit un art. Cette perception répandue a également des répercussions sur son traitement en tant que matériel de traduction et domaine de spécialisation.
La bande dessinée étant un média narratif artistique, notre première impulsion pourrait être de croire que seul le fond de la traduction littéraire est nécessaire pour aborder cet autre type d’art. Cependant, le langage de la narration graphique est créé par l’interrelation profonde et complexe entre le texte et l’image. Et c’est ce qui donne lieu à diverses particularités dont la compréhension est indispensable au travail du traducteur.
Pour commencer à explorer la nature de cette interrelation, il faut partir de la typologie textuelle présente dans la bande dessinée.
Typologie textuelle
1. Les bulles de dialogue ou phylactères
Ce type de texte est probablement le plus emblématique et le plus représentatif de la bande dessinée. Il couvre les dialogues, les énonciations et les pensées des personnages du panneau.
Les bulles ne sont pas seulement l’espace où se place le texte qui simule la parole. Ils peuvent également permettre une représentation de divers éléments paralinguistiques, tels que la diction, le ton, la cadence et le volume, par exemple, en combinaison avec l’utilisation de la typographie. Dans l’image 1, la réduction de la taille des caractères sert à indiquer une diminution du volume de la parole. Dans l’image 2, nous voyons la combinaison de trois ressources différentes : la forme de la bulle, le changement de typographie et la distribution irrégulière du texte pour indiquer les différentes émotions et tonalités dans le discours.
Si les traducteurs peuvent réduire ou agrandir la taille de la police de caractères, cela est différent pour les bulles. En effet, l’ajout ou la diminution de texte affectera l’image. Cette limitation de l’espace crée de nombreux problèmes lors de la traduction. Notamment entre des langues dont les mots sont très différents en longueur. Un exemple clair se trouve entre l’anglais et l’allemand. En général, l’allemand a besoin de beaucoup plus de caractères pour expliquer la même idée.
2. Les cartouches
Les zones de narration et d’annotations chevauchent généralement le panneau et masquent une partie de l’illustration. Elles contiennent généralement une narration à la troisième personne ou par l’un des personnages. Il est donc courant qu’elles reproduisent les fonctions des bulles.
3. Le paratexte
Il s’agit des affiches, des panneaux, des imprimés tels que les journaux et autres éléments textuels qui font partie de la composition graphique. Cela comprend également les onomatopées. Ce sont des représentations graphiques textuelles de sons environnementaux ou d’énonciations verbales non discursives. Par exemple, les cris, les chuchotements, les pleurs, etc sont des onomatopées.
À ce stade, il convient d’ajouter la distinction entre les paratextes intra et extradiégétiques, selon que les textes sont lisibles pour les personnages et que leur lecture remplit ou non une fonction dans l’histoire. Les onomatopées sont presque invariablement extradiégétiques, c’est-à-dire qu’elles ne sont lisibles que par le lecteur.
4. Les titres
À ce stade, la pratique a dû se conformer à diverses normes et exigences de chaque marché de l’édition. Par exemple, pendant quelques décennies, le ministère de l’intérieur espagnol a imposé que les titres des publications soient en espagnol. Ce critère, qui n’est plus suivi aujourd’hui, serait sans doute rejeté par la majorité des lecteurs. Puisqu’ils sont en effet déjà habitués à avoir les titres retenus comme dans l’original. Toutefois, il faut garder à l’esprit qu’en matière de traduction, il n’existe pas de solutions univoques et universelles et que les stratégies qui fonctionnent sur un marché peuvent ne pas être optimales sur un autre. Prenez par exemple la bande dessinée Chew, de John Layman et Rob Guillory.
Dans sa version française, les concepteurs ont changé le titre pour le nom du personnage principal « Tony Chu, Détective Cannibale ». Dans le monde hispanophone, tant dans la version espagnole de Planeta de Agostini que dans la version mexicaine de Editorial Kamite, le titre n’a pas été modifié.
5. Les métatextes
Il s’agit des textes supplémentaires que l’on inclut dans une bande dessinée. On y retrouve des textes éditoriaux, des sections des lettres, page des crédits et autres annexes. On y ajoute aussi les textes qui font référence à d’autres œuvres, telles que les citations et les épigraphes. Ces textes sont problématiques car décider s’il faut proposer une nouvelle traduction ou s’il faut utiliser une traduction existante.
Particularités de la traduction de bande dessinée
La première particularité dont le traducteur doit être conscient est la profonde interrelation entre l’image et le texte. Au-delà de la notion simpliste selon laquelle la bande dessinée est une forme hybride de littérature et d’art pictural, la narration graphique est créée dans l’interaction complexe entre les éléments visuels textuels et non textuels.
Un exemple d’utilisation sophistiquée (voir image 3) de cette interaction se trouve dans les zones de texte de la conversation entre deux détectives analysant une scène de crime, mais elles fonctionnent également comme un mode de « piste narrative secondaire » qui ajoute un commentaire ironique à la lumière de la façon dont le meurtre s’est produit.
Onomatopées, blagues, jeux de mots… le langage de la bande dessinée recherche généralement la spontanéité et représente des dialogues, car une grande partie des informations liées au contexte se trouve dans l’image. Le traducteur doit être capable d’adapter ce style familier et conversationnel à la nouvelle langue.
À ce stade, la traduction des bandes dessinées a traditionnellement été classée dans la catégorie dite « traduction subordonnée ». Par traduction subordonnée, on entend la traduction dans laquelle le texte est accompagné et, dans une mesure plus ou moins grande, soumis à des codes extralinguistiques (principalement visuels, sonores et typographiques) qui restreignent et canalisent le champ d’action du traducteur.
Compte tenu de cette approche, d’autres auteurs soulignent l’importance de traiter la traduction de ce support selon une approche sémiotique qui considère la bande dessinée, avant d’être un support avec des informations textuelles, comme un support avec des informations visuelles. Les textes que nous pouvons voir, avant d’être des lettres, sont des images elles-mêmes et font partie d’une composition visuelle.
1. Les différences culturelles sont également à prendre en compte
La traduction d’une bande dessinée d’origine européenne ou américaine (comme celles des célèbres super héros Marvel) ne présente pas la même difficulté que la traduction de certains manga, par exemple, où la charge culturelle est plus importante. C’est pourquoi les traducteurs de manga s’informent souvent très bien sur la culture japonaise.
2. les informations incomplètes
Cela est particulièrement vrai pour le traitement des nouvelles séries qui sont encore en cours de publication. Le traducteur n’aura généralement accès qu’aux documents déjà en circulation, sans information privilégiée de la part des auteurs. Dans certains cas, des rebondissements et des surprises dans l’intrigue peuvent faire qu’un choix de traduction entraîne une ambiguïté ou une erreur. Par exemple, lorsqu’on fait mention d’un personnage en chiffres avant son apparition, et qu’il n’y a pas d’indication claire de son sexe, on pourrait commettre l’erreur d’attribuer au personnage le mauvais genre grammatical.
3. Les travaux subordonnés
La tâche d’intégration du texte traduit dans la page dépend d’un tiers, généralement un graphiste. Son travail est rendu possible ou limité à la fois par la technologie dont il dispose et par le type de fichiers et les directives reçues de l’éditeur de la licence.
Le traitement des paratextes est le domaine où se distingue la nature particulière de la traduction des bandes dessinées. Puisque comme elle fait partie de la composition graphique, il dépend de la manière dont les fichiers graphiques sont livrés de la possibilité de les modifier. Et cela, compte tenu de la difficulté technique, du temps nécessaire et souhaitable pour le faire, des compétences de l’équipe de travail, ainsi que de la pertinence de ces textes pour le développement de l’intrigue.
Conclusion
Cet aperçu des particularités de la traduction de bandes dessinées peut être utile pour envisager l’intégration d’autres domaines de connaissances dans votre pratique. Par exemple, le marketing peut fournir des informations sur les habitudes de lecture du marché sur lequel s’insère une bande dessinée. Mais aussi sur les préférences éventuelles concernant l’utilisation des colloques, le format de publication, les coûts, la périodicité. Ou encore d’autres questions pouvant avoir une incidence sur le travail du traducteur.
La sémantique peut aider la rédaction à évaluer les signes non verbaux qui apparaissent dans les dessins (langage corporel, gestes). Mais aussi à déterminer dans quelle mesure il est souhaitable, voire indispensable, d’engager des illustrateurs capables de modifier les images. Le débat sur la traduction des bandes dessinées portait sur le fait que que la présence de bulles soit une limitation de la liberté du traducteur. Puisque les bulles fonctionnent d’une manière très similaire à la synchronisation des lèvres dans le doublage. Ce concept de l’image comme contrainte va souvent de pair avec le concept d’universalité picturale.
La bande dessinée est un espace d’innovation constante dans l’utilisation des ressources orthotypographiques, comme les signes de ponctuation. Il est donc pratique de garder à l’esprit la possibilité d’ajouter des utilisations non conventionnelles aux normes de la langue cible.
La pragmatique est le sous-domaine de la linguistique qui s’intéresse à la manière dont le contexte influence l’interprétation du sens. L’on doit comprendre le contexte comme une situation. Car il peut comprendre tout aspect extralinguistique : situation communicative, connaissances partagées par les locuteurs, relations interpersonnelles, etc.
Comme dans d’autres domaines spécialisés, la traduction de bandes dessinées peut et doit également suivre des critères professionnels. Ce n’est pas, comme certains pourraient le penser, une tâche totalement subjective et arbitraire. Ce n’est non plus une tâche qui peut être effectuée par n’importe quel amateur bilingue.
De nombreux traducteurs se spécialisent dans la traduction de bandes dessinées. Ceci afin de résoudre plus facilement et plus professionnellement les difficultés qu’elles présentent. Une chose est sûre : ces traducteurs sont créatifs et dans la plupart des cas ont un grand sens de l’humour.